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Le journal de Geneviève Latour

19 avril 2017

Mademoiselle Dumont

Mademoiselle Dumont

En classe de Première, le programme de littérature était consacré au Romantisme.  Mon professeur de lettres, Melle Dumont  ,ne m’enthousiasmait pas.  De taille moyenne,  assez  forte  -  la  masse graisseuse l’emportait sur la masse musculaire -  elle était vêtue d’une robe de drap noir, serrée à la taille par une étroite ceinture  qui séparait en deux bourrelets le ventre et l’estomac, le visage pâle, un peu bouffi surmonté par un chignon bien serré , elle n’avait rien d’attirant et ne  me semblait pas du tout la personne adéquate pour enseigner la vie et l’œuvre des merveilleux et passionnés poètes romantiques . Que devait-elle connaître de l’Amour, et le connaîtrait-elle un jour ? Et quel homme pourrai lui trouver un brin de charme ?

En sorte de prélude ,nous avions étudié  quelques oeuvres de  Chateaubriand. Nous en étions à présent à Lamartine. ‘’Au temps,  suspends ton vol, et vous,  heures propices , suspendez votre cours…’’ Que  c’était beau ! Et  Melle Dumont nous  lisait cela comme elle aurait dit ‘’ deux et deux font quatre’’.  

Ah certes, je n’assistais pas à une matinée poétique de la Comédie française…

J’étais écœurée…Et je prévoyais le pire lorsqu’elle nous enseignerait  l’œuvre de Musset, mon poète préféré. 

Et puis surprise, début mars 1942, Melle Dumont  nous tint ce langage : « Mesdemoiselles, il ne suffit pas de travailler les auteurs de votre programme, il vous faut aussi découvrir les écrivains contemporains. Je ne saurais trop vous recommander de lire le tome  VI  des ‘’ Hommes de bonne volonté ‘’  intitulé ‘’Les Humbles ‘’ » et elle se mit à nous parler de Jules Romains, l’auteur  de cet important ouvrage en vingt trois volumes  et qui  devrait en compter  quelques autres .

Dès la sortie des cours,  je me précipitais chez le petit libraire qui tenait boutique en face du lycée. Arrivée chez moi,  je commençais à lire les premières pages des ‘’ Humbles’’. A dire  vrai, je n’étais pas passionnée. Il était question d’un petit garçon, Louis ,  et de sa mère qui allaient acheter des chaussures… Sans doute l’auteur avait –il raconté leur histoire dans les tomes précédents .Enfin pour le moment,  rien de bien intéressant. Je remis ma lecture à plus tard, c’est-à-dire lorsque je serais couchée . Ma mère avait soin d’éteindre la lumière. Grâce à une lampe électrique,   je lisais sous les draps.

 C’est ainsi que le mardi 4 mars 1942,  je découvris  un aspect de la vie dont je n’avais aucune idée. L’herboriste , Mme Camille,  ( je savais ce qu’était une herboristerie, on m’envoyait 

 dans celle  du quartier, acheter de la bourrache que je buvais en tisane, pour me soigner

le foie ) , venait de recevoir  dans sa boutique , une certaine  baronne , Marie de Champcenais , qui ‘’ avait des ennuis’’ . Quels ennuis ? Poursuivant ma lecture , j’osais comprendre ‘’qu’ayant du retard !’’ elle  craignait d’être enceinte, non de son mari, ce qui aurait été  naturel et convenable, mais de son amant M. Sammechaud. En voilà  une histoire !    Cela  devenait passionnant… Mme Camille donna à sa cliente  un mélange de plantes  qui devait , si elle n’était pas enceinte , annuler ‘’son retard’’. Cette fois j’osais  penser qu’il s agissait de la menstruation féminine, pour tout dire  des règles. …

A ce moment de ma lecture, les sirènes  , annonçant une alerte aérienne , se déclenchèrent et devinrent assourdissantes. Ma mère sauta de son  lit et vint me secouer : « Tu n’entends pas…Allez lève –toi, il faut descendre à la cave  .. » Mais, moi qu’est-ce que j’en avais à faire de la guerre, des bombardements et tutti quanti ? Ce que je lisais me paraissait bien plus essentiel. Enfin bon, je me suis levée, habillée ainsi que mon père qui bougonnait  en boutonnant la braguette de son pantalon et nous sommes descendus dans la cave de la maison d’à côté. Il y avait un monde fou… Plus de places  disponibles sur les bancs, nous dûmes nous asseoir sur les marches d’escalier . Certains  parlaient fort pour se faire entendre, d’autres pleuraient, d’autres se disputaient, opposant le Maréchal Pétain à Charles de Gaulle, enfin il y avait ceux qui chantaient pour s’encourager et les jeunes mères qui donnaient le sein à leurs bébés.  De temps en temps,  on entendait  exploser des bombes. Ma mère me  commanda de dire mon acte de contrition… Naturellement , j’avais emporté mon livre. Mais comment  lire dans ce brouhaha . Je ne m’y retrouvais plus. L’alerte dura environ  deux heures . Quand nous sommes retournés à l’école, j’étais morte de sommeil .

J’ai dû attendre le  lendemain pour en savoir  davantage sur les problèmes de  Mme  de Champcenais . La tisane n’ayant eu aucun résultat, la baronne dut retourner chez l’herboriste. L’action se corsait .  Devant l’échec de sa précédente médication , Mme Camille  n’hésita pas, elle fit monter sa cliente dans sa chambre . ( Là qu’arriva –t-il ? l’auteur ne le dit pas). En redescendant , elle tint simplement à rassurer Mme de Champcenais : « Je vous assure que ça s’est  passé  on ne peut mieux(…) Chez vous,  vous penserez bien aux petits soins que je vous ai indiqués.  » Je ne comprenais toujours rien.  Impatiente,  je poursuivais l’histoire.  Il se trouvait que le baron de Champcenais avait prévu une réception   dans son château  de  Courveillens, en  Champagne  . Il était impensable que son épouse ne l’accompagnât pas. M. Sammechaud, ami de la famille, faisait partie des invités.  Au milieu de la fête, alors que commençait le feu d’artifice, Marie sentit venir les douleurs. Elle monta dans sa chambre et fit, dans la plus grande discrétion,  venir son amant. Arrivé auprès d’elle, celui-ci écarta le drap,  aperçut une énorme tâche de liquide rouge, presque une flaque (…) Marie lui tendit un gros amas d’ouate imbibé de sang,,  replié  dans une serviette .  Il demanda ce qu’il devait en faire . « Va jeter cela. Dépêche toi et reviens  me dire que c’est fait’’ . Sammechaud se rendit dans les toilettes . En considérant le paquet et son calibre,   il crut prudent de le diviser en deux , et, les doigts  ensanglantés,  il jeta la première partie dans la cuvette, puis fit fonctionner la chasse d’eau dont le bruit lui causa un soulagement extraordinaire. Il jeta alors  le  deuxième morceau…

Encore une fois,  je n’osais comprendre… Je dus relire  le passage pour accepter de me rendre à l’évidence. Le futur bébé avait été noyé dans les W.C. …

Après cette lecture,  j’étais tout d’abord  stupéfaite et  choquée . puis bientôt je m’en pris à moi-même. Comment ce pouvait-il  qu’une fille de mon âge soit aussi ignorante des ‘’choses de la  maternité’’ ? Certes je m’avais jamais été  curieuse  dans ce domaine là,  au contraire  Il a fallu que j’attende l’âge de onze ans pour que ma mère , après m’avoir fait réciter ma prière  ‘’ : « Je vous salue Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie  entre toutes les femmes et le fruit de vos entrailles est béni »  me demande si je savais ce que  signifiait ces dernières paroles. En réalité je ne savais pas, pour moi les entrailles se rapportaient à la colique ! Devant mon ignorance,  ma mère m’a expliqué que lorsqu’un homme et une femme  étaient mariés , Dieu mettait une petite graine dans le ventre de l’épouse et neuf mois plus tard naissait un enfant. Ma sœur aînée ayant convolé en  justes noces quelques mois auparavant,  j’allais bientôt être tante . Tout cela était parfait, mais mon beau-frère,  André ,  à quoi servait-t-il dans l’affaire ? Ma mère me répondit qu’il ferait des heures supplémentaires pour nourrir son épouse et son enfant. Alors que notre conversation aurait dû s’arrêter là , j’éclatais en sanglots.  Ma mère  a cru tout d ‘abord que je pleurais sur les douleurs qu’elle avait  dû endurer alors que je poussait dans son ventre . Pas du tout , au milieu de mes larmes,  j’ai murmuré pitoyable et furieuse : «  Maintenant je ne suis plus pure …» Par les explications de ma mère,  j’étais entrée dans le monde des adultes et je m’ y refusais . Les adultes étaient   pour moi des êtres méchants, jaloux,  ne pensant qu’à se faire du mal les uns aux autres . Leurs histoires je ne voulais pas les connaître. Je voulais rester une enfant innocente.   Trois mois se sont passés, ma petite nièce est née et on ne m’a plus parlé de rien. Jusqu’au jour où, entrée  en 6ème,  à l’Ecole Normale Catholique, j’ai connu une camarade qui avait un frère de quatre ans plus âgé qu’elle . Il lui donnait des cours  d ‘éducation sexuels avec  travaux pratiques à l’appui. Très fière ,elle nous racontait leurs exploits , mais il n’avait jamais été question d’avortement, au cours de leurs ébats

Reprenant ma lecture des ‘’Humbles’’,  je ne fus pas au bout de mes  surprises. Vers la moitié du livre, il fut question d ‘un prêtre, l’abbé Jeanne  comme les autres ecclésiastiques ,il avait dû faire voeu de chasteté… . Il avait un ami , l’abbé  Roussieux , fort éloquent en chaire et très apprécié de ses paroissiens . Un  soir d’hiver , les deux prêtres  se rencontrèrent  boulevard Barbès et marchèrent un moment ensemble,  puis l’abbé Roussieux s’arrêta devant la porte d’une maison. Avant d’entrer, il dit à Jeanne : « Je vais chez des gens. J’ en aurais pour une seconde » L’abbé, Jeanne le suivit.  Les deux prêtes furent reçus par une dame d’une cinquantaine d’années. . S’adressant à l’abbé Jeanne , l’abbé Roussieux  lui dit alors : «  Attendez-moi là , j’en ai pour quelques minutes » et il disparut. L’abbé Jeanne pensait que son ami allait  réconforter  un malade en fin de vie.   Après quelques minutes, l’abbé Roussieux réapparut, vêtu en civil,   coiffé d’un chapeau mou. «  Vous voyez, dit –il en riant, ma tonsure ne se devine même pas . Vous vous demandez ce que je fais faire maintenant ? Je vais chez ma maîtresse...» Devant l’étonnement outré  qu’il lisait sur le visage de l’abbé Jeanne, le vicaire  Roussieux poursuivit : « Vous en  faites une tête…»et d’expliquer à son compagnon  qu’il n’était pas le seul ‘’à s’amuser’’ . Il cita d’autres cas : Tel collègue de Saint Bernard fréquentait des maisons closes. Tel prélat éminent recevait des femmes du monde dans son hôtel et les ravages  qu’il exerçait parmi elles étaient la fable de sa domesticité. Tel prédicateur célèbre avait de justesse évité un gros scandale où étaient mêlées des jeunes filles’’ :  « Moi , disait Roussieux, j’estime que j’y vais bien modérément. Et c’est  l’avis de mon confesseur ! ». Que l’abbé Jeanne pouvait-il répondre, sinon «  Vous faites ce que bon vous semble  .Votre confesseur est content ? Vous aussi ? Que demander  de plus ? »

Je relis plusieurs fois ce passage . Dorénavant , l’austérité sacerdotale  du chanoine Tronçon, curé de la paroisse Saint-Jean Baptiste de Grenelle,   pour lequel ma mère avait une profonde admiration,  me paraissait beaucoup moins crédible. J’étais troublée , bien sûr, mais rien à voir avec la révélation de la découverte d’un avortement. Je ne me sentais absolument pas concernée par cette affaire de curés
A partir de ce jour,  mon jugement concernant Melle Dumont évolua totalement . Certes,  elle était une vieille fille, mal attifée et d’un physique peu attrayant  mais elle connaissait la vie et je lui étais très reconnaissante de me  la faire découvrir…

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19 avril 2017

Charles Pasqua

Charles Pasqua

Lorsqu’en novembre 1961 , je fus engagée par la Sté Ricard pour devenir la secrétaire du Patron, je dus faire un stage de quinze jours au siège social  de la société , à Marseille. Dire que j’ai été reçue les bras ouverts par l’ensemble du personnel des bureaux serait excessif. Une Parisienne promue à ce poste fort honorifique, alors que de bonnes secrétaires de direction , Marseillaises de surcroît, enviaient le poste ?  C’était inconcevable…

 Seul , Mr Pasqua, alors directeur des Ventes pour la région du Midi , m’accueillit dans son bureau, avec beaucoup de bonhomie. Connaissant en partie mon passé dans les  théâtres parisiens , il me serra main et me dit, avec un  accent  marseillais inégalable : «  Madame Latour, la vente, c’est de la ‘’Caumédie’’.. » Il me fit asseoir et , se transformant en  un sosie de Fernandel, il me joua différents  sketchs, concernant tout d’abord  le comportement des  cafetiers: celui qui aimait le Ricard et en poussait la  vente, celui qui  le détestait et évitait d’en servir et celui qui,   n’ayant aucune de préférence,  offrait le pastis qu’on lui demandait. Selon le même procédé , M. Pasqua  enchaîna  sur l’attitude des clients : l’amateur de Ricard, l’ennemi du produit et l’indifférent . Il ne s’en tint pas là et m’interpréta pour finir  le bon et  le mauvais représentant.

Son numéro terminé ,il parut  désolé : « Ah ! quel dommage que vous n’ayez pas été là , le mois dernier, vous auriez assisté à la réunion des agents de vente…enfin cela ne fait rien, je vais vous faire entendre la bande ». Ainsi,  j’ai écouté  son  ancien discours sur magnétophone. Après quelques envolée lyriques, il terminait son allocution par cette phrase inoubliable :

 «  Jésus-Christ a promis, aux hommes, le Bonheur  dans le ciel,  Paul Ricard leur donne sur la terre ».

 J’avoue que j’ai été assez bluffée…

 Quelques mois plus tard , alors que j’étais en fonction, j’ai eu l ‘honneur d’être conviée à la  nouvelle réunion officielle des représentants, agents généraux  et directeurs  commerciaux de la Société : plus d’une centaine de personnes… Tous des hommes !!! Chacun portait un  blouson rouge avec un écusson ‘’Ricard’’ sur la poitrine. Après le discours, toujours aussi enflammé de Charles Pasqua,   la main sur la couture du pantalon, le regard fixé droit devant eux,  les assistants entamèrent à l’unisson l’hymne Ricard , composé  sur la musique de ‘’L’Ave Maria’’:

             

                                            ‘’ Oh Toi ! sainte Marthe [1]

                                            ‘’ Reine du Paraclet,    

                                            ‘’ Avant qu’on ne parte,

                                           ‘’ Sers  un Ricard bien frais.

 

                                                         Refrain

                                             ‘’ Ave, ave, ave cinq volumes d’eau !

                                             ‘’ Ave, ave, ave cinq volumes d’eau !

 

                                            ‘’ Aux hypocondriaques 

                                            ‘’ Il redonne la joie,     

                                            ‘’ Il prévient les attaques

                                            ‘’ Et les crises de foie !

 

                                                   

                                                              Refrain

                                              ‘’ Ave, ave, ave cinq volumes d’eau   !

                                              ‘’ Ave, ave, ave cinq volumes d’eau.   !

 

La cérémonie terminée, ‘’les vainqueurs de la soif’’ s’en allaient gaillardement rendre visite aux bistrots les plus proches. Dès l’entrée de ses troupes, le  futur Ministre de l’Intérieur , s’adressant au patron,  annonçait : « A la Mienne ! à la Tienne ! à la Sienne ! à la Nôtre ! à la Vôtre ! à la Leur ! » ,  ce qu’on pouvait traduire par «  six Ricard pour chacun »

 

Apparemment cette manière de diriger était excellente, puisqu’en 1961, année de mon engagement, il avait été vendu II.000.000 de bouteilles ,  l’année suivante 16.000.000 et la courbe ne cessait de grimper.

 

19 avril 2017

Paul Ricard

Paul Ricard

 Quelques mois après m’avoir engagée comme sa secrétaire particulière, Paul Ricard fit la connaissance de mon mari. Tous deux s’entendirent très bien , appréciant l’humour de l’autre: la preuve, Pierre appelait mon patron ‘’Paulo l’absinthe’’ et ce dernier, au courant de l’antimilitarisme de mon époux,  l’avait  affublé du titre de ‘’ Général Latore de la Bougneta ’’ ( Pierre ayant le génie de se faire souvent des bougnettes)  .

Au mois de septembre 1963,  Paul Ricard nous invita tous deux , une semaine,  en Andorre où son fils Bernard avait acheté un appartement. Andorre quelle déception !C’était alors une artère de cinq kilomètres , encaissée entre les montagnes. Dans cette grande rue, on ne trouvait que des magasins de gadgets, d’appareils photos, des caméras, des postes de radio et de télévision, des parfumeries, des bijouteries, etc... Les boulangeries, boucheries, épiceries se comptaient sur les doigts  de la main, cachées dans de petites rues adjacentes

En dépit de notre désillusion nous avons passé un séjour inoubliable. Quand nous sommes arrivés dans l’appartement de Bernard, nous avons trouvé deux lits et un canapé, dans une pièce qui servait de séjour, point de table, point d’armoire. Par contre une cuisine fort bien équipée pour l’époque : four électrique,  frigidaire, machines à laver  le linge ,la vaisselle, etc…

En ville ,  aucun magasin ne vendait de table.  Pour en avoir une, il aurait fallu faire appel à un menuisier . Mais un menuisier en Andorre ,  c’était un homme archi – débordé.  Il aurait fallu prendre rendez-vous quelques semaines à l’avance…Nous dûmes nous résoudre à pique-niquer sur le parquet, le dos appuyé sur le canapé.  Cela nous faisait , tous trois, mourir de rire.

La veille de notre retour, Paul Ricard reçut un coup de téléphone de Danielle, sa fille aînée qui habitait Madrid. Elle lui annonçait que son époux , le toréador vénézuélien César Giron, allait se colleter à un taureau le dimanche suivant  . Paul Ricard décida que nous assisterions au spectacle  .

Et nous voici repartis ,cette fois, pour Madrid…

César et Danielle habitaient un bel appartement dans ‘’l’avenida Generalisimo Franco’’, une des principales artères du nouveau Madrid.   

Quand la femme de chambre nous   ouvrit la porte d’entrée, nous avons tout de suite ressenti le climat d’angoisse qui flottait dans l’air.

En juin précédent , lors de  sa dernière corrida, dans les mêmes arènes, César avait été   très grièvement blessé à la cuisse. Transporté,  sans connaissance,  à l’hôpital, il avait été opéré d’urgence et les chirurgiens avaient constaté que l’artère fémorale avait été évitée de justesse.

C’est assez dire  le trac  qui tenaillait la maisonnée  . Non seulement le matador et son épouse  étaient paniqués mais également Pierre Schull, ancien torero français qui faisait office de secrétaire, d’habilleur, et surtout d’ami.

Très heureux de revoir  sa  fille et ses trois petits enfants, Myrna, César et Patricia, Paul Ricard fut indifférent  au milieu ambiant.   Pendant le déjeuner ,  dans un silence général, il raconta, joyeusement,  notre séjour  en Andorre.  Nous , les deux Latour,  nous n’étions pas très à l’aise.

Vers quinze heures, César, accompagné de Pierre Schull,  quitta l’appartement après avoir étreint et embrassé sa femme  avec émotion : le baiser du condamné.. Les enfants, trop jeunes pour comprendre la situation , jouaient et riaient avec leur papy.
Vers seize heures, Paul Ricard décida  qu’il était temps de partir. Danielle, en dépit de l’insistance de son père, refusa de nous accompagner. Elle avait trop peur de retrouver son époux  dans l’arène, face à un taureau. 
Qui n’a vu une corrida en Espagne  ne sait pas ce que c’est que la ferveur, l’enthousiasme, la folie d’un peuple. Dans la poussière, sous un soleil implacable bien que l’on fut début octobre, dans le bruit des clairons,  des fifres et autres trompettes, une foule bigarrée s’interpelait, criait  commentait en hurlant les qualités des hommes et des ‘’toros’’. C’était la fête, non la fête recueillie d’une  solennité religieuse,  c’était  l’explosion d’une foule excitée par la promesse du sang versé qui vous saoule mieux que le vin. C’était une cohue sauvage qui venait saluer la Mort. César nous avait retenu des places au premier rang. Paul Ricard , bardé d’un appareil photographique et d’une caméra ,  serrait contre lui des brochures concernant toutes les  activités de sa société : ‘’ Club taurin de mejanes’’ , ‘’ Nouvelles Ricard’’, ‘’Fondation culturelle’’,’’ Club nautique de Bendor’’,  etc , etc…  Il se proposait de les distribuer , en fin de courses , aux notabilités qui occupaient les tribunes

Le premier taureau fut tué dans les formes qui convenaient aux aficionados, mais sans déchaîner toutefois un délire d’applaudissements.
Quand César entra dans l’arène, un murmure, telle une petite brise passa dans les rangs de l’assistance.  On avait assisté à sa blessure de juin et on l’attendait. Allait-il se montrer brave, saurait-il maîtriser son angoisse face au danger ?

Or, était-ce  la peur que lui  inspirait  le monstre qui se trouvait devant lui,

était –ce les trois mille patres d’yeux qui le scrutaient avec autant d’avidité, imprécis dans ses attaques, hésitant dans ses gestes, il fut décevant et s’y reprit trois fois pour tuer son ‘’Toro’’. Ce fut une boucherie…. 
La foule ne lui fit pas grâce. En quelques secondes , les cris, les huées, les injures fusèrent de toutes parts. Des pierres, des tomates, des épluchures d’oranges, des canettes de bières vides, étaient lancées de toutes parts. C’était la curée. En  espagnol, on appelle cela ‘’une bronca’’ et tout cela se termina en un brouhaha indescriptible.

Je me suis approchée de mon mari et je lui ai murmuré à l’oreille : « Ce soir, on prétendera qu’on ne connaît pas Madrid et on ira se promener. Je suis incapable de dire quelque chose à César… ». Et Latour, apparemment soulagé, acquiesça de la tête.
Quant à Paul Ricard, peu fier ,  il  n’avait pris aucune photo ,  tourné aucun film, ni distribué aucune brochure.


Nous avons retrouvé César derrière les arènes , à la ’’sortie des artistes’’. Il paraissait fatigué, mais nullement déçu par l’accueil du public . En l’honneur de son beau-père il avait prévu une soirée madrilène  dans un club privé où les touristes n’ont pas accès . Dans ces conditions,  il n’était  plus question que nous nous dérobions. Quelques heures plus tard nous nous sommes retrouvés dans une boîte de luxe . César connaissait tout le monde : il y avait là des Espagnols, des Vénézuéliens,  Rento et di Stafao, les célèbres joueurs de Real de Madrid , des aficionados , des picadors, rien que des amis, volubiles ,  expansifs et chaleureux. Danielle nous avait rejoints. Elle ne paraissait pas ,le moins du monde,  affectée par l’échec cuisant que sn mari avait subi  dans l’après-midi .La salle était enfumée. On chantait, on dansait sur des airs de fandangos, de rumbas où se mêlaient parfois des morceaux de jazz. On buvait des liqueurs fortes . La nuit était à la fête et l’on fut heureux jusqu’au petit matin.
Avant de les quitter, César Giron convia ses amis et particulièrement son beau-père à venir le voir toréer,  l’après-midi même , à Guadalajara, petite ville située à une trentaine de kilomètres de Madrid.

Cette invitation me refroidit un peu. Je me demandais dans quel état serait César après une journée et une nuit aussi fatigantes.

Vers14h, une voiture vint nous chercher. Après une visite au nouvel aérodrome de Madrid que Paul Ricard désirait connaître , nous arrivâmes vers 16 heures à Guadalajara .Les arènes,  plus petites que celles de Madrid, se trouvaient au centre de la ville dont elles étaient le centre d’attraction.

Paul Ricard avait encore en bandoulière son appareil photographique et sa caméra, mais semblait beaucoup moins  disposé  à s’en servir que la veille.

Cette fois encore nous fûmes placés au premier rang, dans l’ordre suivant : Paul Ricard , moi et Pierre.

Le premier matador était malade. Sa prestation fut bien mauvaise . le public lui fit bien sentir, mais avec beaucoup moins de violence  que la foule madrilène ne  l’avait fait pour César. Quand le tour de ce dernier arriva, il se présenta devant Paul Ricard et lui dit,  en français : « Beau –papa, je te dédis ce ’’ toros’’ !». On sentis alors que quelque chose d’unique allait se passer. En effet il est excessivement rare que ce soit les toréadors qui plantent les banderilles dans la tête des taureaux. Cette tâche était réservée aux picadors à cheval. Or César , à cet instant se sentit en état de grâce . Son sang sud-américain bouillonnait à cent degrés. Il fit signe à ses aides de rester en place et,  banderilles en main,  il s’élança vers le monstre qui s’élançait vers lui.

Paul Ricard fut pris de court, il voulait à toutes forces filmer l’exploit. Il dut tout d’abord se dégager de ses appareils, puis armer  sa caméra. Il s’énerva. Sa tête allait plus vite que ses mains. Ses gestes étaient nerveux, maladroits  et imprécis. Il arriva ce qui devait arriver : il appuya sur un bouton auquel il n’aurait jamais dû toucher.
Et la catastrophe s’accomplit…

Tel un barrage qui se rompt, toute la bande de pellicule s’échappa du magasin où elle était rangée. J’en attrapais un bout et par un mouvement du poignet de droite à gauche  je le glissais vers les genoux de Pierre  qui se débrouillait comme il pouvait avec ce ruban qui défilait à la vitesse grand V . Nous avions grande peine à retenir notre fou –rire.

 César, sans perdre de temps  plantait les banderilles  entre les cornes du ‘’toro’’  dont le sang  commençait à couler  sur le mufle.

Affolé, désespéré devant un tel échec, Paul Ricard s’écria « Merde, arrête-toi, César, tu vois bien que je ne suis pas prêt, Merde, arrête –toi ! »

S’expliquant avec son’’toro’’ qui devenait furieux , César n’entendit rien … et poursuivait sa tâche.

Quant à moi, je passais toujours de la pellicule à  Pierre qui ne savait toujours pas quoi en faire. Tous deux nous baissions la tête, le regard fixé sur nos pieds, nous étions morts de rire… à l’intérieur
Enfin Paul Ricard abandonna sa caméra inutile et ,  avec un certain calme , photographia la mise – à –mort du taureau , ainsi que l’attribution à son gendre des deux oreilles et de la queue . Suprême récompense !!!

Si, par la suite,  nous n’avons pas vu le film ce fut, bien évidemment, de la faute du photographe qui n’a pas su le développer !!! Eh oui.

 

19 avril 2017

Curzio Malaparte

Curzio Malaparte

En septembre 1948, Pierre Dux et Marcel Karsenty , l’organisateur des célèbres tournées théâtrale, prenaient la direction du théâtre de Paris.  P.Dux m’engagea alors comme assistante.  C’était mon premier contrat. J’étais  folle de joie. J’avais échappé à la Caisse des Dépots et Consignation à laquelle mes parents me destinaient…
Pour fêter leur arrivée ,  les nouveaux directeurs décidèrent de frapper un grand coup : après la réfection du théâtre, une soirée de gala fut envisagée pour la réouverture.  Il  leur  fallait  à tout prix afficher un triomphe. Ils ont cru l’avoir trouver avec la nouvelle œuvre de Curzio Malaparte : ‘’ Das Kapital’’, pièce qui  traitant de la vie difficile du communiste allemand ,  Karl Marx . Bien évidemment , ce fut  Pierre Dux le metteur en scène et l’acteur principal.

Curzio Malaparte, célèbre  écrivain Italien de grand talent , romancier lu dans le monde entier, était un personnage  difficile  à cerner.   Lors de la première guerre  mondiale, le jeune Toscan, né en juin 1898,   tricha sur son âge, pour s’engager à quinze ans dans l’armée française  .La paix revenue , il devint à fois l’ami   des surréalistes français et  de Pablo Picasso.  Néanmoins,    fervent admirateur de Nietzche , il se rapprocha des théories fascistes. A la déclaration de la seconde guerre mondiale ,  correspondant de presse sur le front de l’est pour la revue italienne la ‘’Stempa’’,  il fut arrêté  par les Allemands   et assigné  un certain temps en résidence surveillée  . Il rompit alors avec l’hitlérisme . En 1943, après la chute de Mussolini , il retourna en Italie pour prendre part aux combats de libération de sa patrie. Que s’est – il passé alors ? Une rumeur prétendit qu’il s’était rendu en Finlande sous la domination allemande. Mais la rumeur ??? Toujours était-il  qu ‘après l’armistice,  Malaparte , délaissant toute idée politique, s’était installé en France et cherchait à devenir auteur dramatique.
Le premier, le directeur du théâtre Hébertot s’ éprit de ‘’ Das Kapital’’  et souhaitait monter la pièce dans son théâtre. Puis il changea  bientôt   d’avis et  confia  le manuscrit à Marcel Karsenty et à Pierre Dux.  Après lecture , tous deux crurent avoir trouver le pactole.

Tout fut mis en œuvre pour une éclatante réussite : une brillante distribution ( Alain Cuny, Lucien Nat, Renée Devillers, Renaud Mary, etc…)  et d’ingénieux  décors signés Jean-Denis Malclès. 
Au soir de la première représentation, - robes du soir et smokings ( moi-même je portais un ensemble blanc , lamé or, prêté par  le grand couturier de Mme Karsenty)-  la salle était éblouissante

Le rideau était à peine levé ,  ce fut un hallali comme jamais je n’en connaîtrais plus. 
Les critiques ne s’en prirent pas à la pièce : «  Il y a dans ‘’Das Kapital’’ des moments de grande intensité dramatique », écrivit, entre autres,  Thierry Maulnier dans ‘’La Bataille’’  Mais la personne de l’auteur  fut massacrée . Mieux que moi , Pierre Dux, dans son ouvrage ‘’Vive le Théâtre’’, raconta le drame : « Je ne m’étais jamais trouvé sur la scène, encore moins en tant que responsable du spectacle, face à une salle déchaînée qui ricane,  qui hurle, qui rit à gorge déployée aux moments supposés émouvants, d’où fusent des quolibets,  des injures ( …) Dans le vacarme, moi, malheureux comédien,  nanti d’un texte considérable, sentant avec effroi arriver, l’une après l’autre,  les tirades  destinées à se perdre dans le chahut, mettant un point d’honneur à ne rien couper  mais lisant la pire détresse dans les yeux de mes partenaires,  je continuais  à faire semblant de jouer , l’esprit ailleurs, supputant one longue suite de conséquences désastreuses. Tel un feu d’artifice le spectacle s’est terminé, au moment des annonces rituelles par le bouquet, c’est – dire un concert de cris  d’injures et d’invectives  … »

Comment Malaparte  supporta –il cet accueil ? ,  Après avoir assisté au spectacle, il se dirigea vers le grand hall au bout duquel était installé un bar. De sorte que lorsque le public sortit de la salle encor furieusement excité , seul , accoudé au comptoir du bar, un whisky dans la main droite, fumant un gros cigare, il le narguait  avec une insolence à nulle autre pareille. Surpris, gênés, muets, la plupart baissant la tête, les spectateurs s’empressèrent de quitter le théâtre. Quelle leçon !!! Quelle classe !!!  J’étais éblouie…

 

19 avril 2017

Pierre Latour - auteur de 36 romans policiers

Pierre LATOUR

Romans policiers

 

Le Dingue,( sous le pseudonyme Arthur Mainville)   1960    Série Noire   - Gallimard

Accidenti                                                              1961    ‘’        ‘’              ‘’

 

Silence , on tue   !                                             1967    Col.  Spécial Police  - Ed.  Fleuve Noir

Glissez , mortels …                                            1968                            ‘’                             ‘’          

Ballade pour un tordu.                                       1968                           ‘’                             ‘’           

Chienne de vie                                                  1969                           ‘’                             ‘’           

Le Chiqueur                                                      1969                           ‘’                             ‘’           

Travail soigné                                                    1969                           ‘’                             ‘’  

Le bal des voyous                                              1970                           ‘’                            ‘’

Pigall’s party                                                      1970                           ‘’                            ‘’

Appelez-moi maître !                                          1970                           ‘’                            ‘’

Taïaut ! Taïaut !                                                  1971                           ‘’                            ‘’

Les trois mèches                                                1971                           ‘’                            ‘’

Salade niçoise                                                    1971                           ‘’                            ‘’

Coups fourrés                                                     1972                           ‘’                            ‘’

La nuit sauvage                                                  1972                            ‘’                            ‘’

L’écorché vif                                                       1972                           ‘’                            ‘’

Le flic, la fille et le tueur                                      1973                           ‘’                            ‘’

Le repos du truand                                              1973                           ‘’                            ‘’

La brute et l’enfant                                              1973                           ‘’                             ‘’

Même si j’en crève !                                             1973                           ‘’                             ‘’

Corrida marseillaise                                              1974                           ‘’                             ‘’

Planquez-vous !                                                   1974                           ‘’                             ‘’

L’affaire Libermann                                              1974                           ‘’                             ‘’

Le blondinet                                                         1974                           ‘’                             ‘’

Paris by night                                                       1975                           ‘’                             ‘’

Le jour du saigneur                                               1975                           ‘’                             ‘’

Je reviendrai….                                                     1975                           ‘’                             ‘’

Le  Midi bouge                                                      1975                           ‘’                             ‘’

Têtes à claques                                                     1976                           ‘’                             ‘’

Chicago – en - Essonne                                         1976                          ‘’                              ‘’

Blagues à part                                                      1976                          ‘’                              ‘’

Cours toujours !                                                    1976                          ‘’                              ‘’

      

                                                             ‘’ LE DINGUE ’’

 Perdu dans la foule anonyme s’en allait , à Paris, un petit homme  semblable à tous les autres. Il s ‘appelait Mr. Malvoisin, un célibataire approchant la cinquantaine ,   caissier dans un élégant magasin de chaussures pour femmes . Il donnait entière satisfaction à sa patronne , Madame Chanvin, dame d’un certain âge qui l’aimait bien. Rien de spécial  à signaler ! Sinon que M. Malvoisin possédait  de très belles mains blanches aux longs doigts ,  des mains de pianiste qui faisaient l’admiration des clientes quand  il leur rendait leur monnaie.

Lorsque le temps était à l’orage,  ciel plombé et apparition d’éclairs,  M. Malvoisin ne s’appartenait plus. Il lui fallait étrangler une jeune fille, chaussée d’escarpins , couleur feuille morte. Plus elle était jolie, plus il était possédé et lorsqu’il avait accompli son crime, il arrachait les chaussures  de la morte et les emportait chez lui, en tant de reliques. Mystique de pacotille, Mr Malvoisin  se voulait l’émissaire  du Créateur, chargé de punir et de trucider  de jeunes créatures très belles . Lorsque la pluie commençait à tomber, Dieu était satisfait .  L’assassin  pouvait se calmer et  redevenir,  dans l’instant, un être comme tous les autres

  A la suite d’un nouvel attentat, M. Malvoisin   allait se remettre dans  son bistrot habituel, appartenant à un certain Frédo. Arriva alors la jeune sœur de ce dernier, une certaine Vanda qui annonça à son frère avoir déménagé . Elle habitait, désormais, rue Poussin, dans le XVI ème arrondissement. Mon Dieu qu’elle était belle cette fille et de surcroit portait , elle aussi,  des escarpins feuille morte ! En l’admirant,  M. Malvoisin sentit qu’il lui serait impossible de ne pas agir, ses longues mains commençaient à trembler. L’église St Philippe du Roule était proche du bistrot, il prit la décision d’aller prier Dieu pour éviter le pire. En fait, il resta  à l’entrée du bar, attendant que Vanda en sorte pour monter dans sa superbe auto blanche . Malvoisin alors hala un taxi et lui demanda de le conduire rue Poussin. Il se cacha dans l’encoignure de la porte d’entrée de l’immeuble de  Vanda  espérant qu’elle apparaisse bientôt. Les mains du petit homme étaient devenues douloureuses et brûlantes ; une soudaine migraine lui serrait la tête. Il se mit à prier Dieu «  Je ne peux pas lui faire du mal. Une autre, oui,  mais pas elle. Permettez - le mon Dieu ». Mais  Dieu ne parut pas l’entendre.

Bientôt Vanda sortit de son appartement ,  monta dans sa voiture qui démarra et elle s’engagea bientôt sous la porte d’un garage. Quand elle en ressortit à pied, Malvoisin vit qu’elle avait changé de chaussures.  Etait-ce là le signe que le Créateur avait écouté sa supplique ? Néanmoins ,  Malvoisin , qu’une chaleur implacable terrassait , suivit Vanda. Tout était calme autour d’eux. Ils s’enfoncèrent, dans les allées du bois de Boulogne.  La jeune fille  sentit alors la présence de quelqu’un qui marchait derrière elle. Elle s’arrêta sur place et se retourna :«  Que me voulez-vous ? » demanda – t- elle d‘une voix inquiète. Pris de court, Malvoisin répondit :  «  Rien du tout, je ne voulais que me promener avec vous un moment ...»  S’affolant, elle lui cria : « Allez-vous en, allez vous en ! » Alors,  Malvoisin la saisit par le bras et la menaça : «  Vous allez vous promener avec moi, sinon tant pis pour vous ! ». Vanda réussit à se dégager  , poussa un hurlement et se mit à courir. Son pied accrocha une racine d’arbre et elle tomba, le petit homme était sur elle , il allait nouer ses mains tremblantes autour de son cou quand d’un seul coup, la pluie se mit à tomber en trombe. Soulagement de Malvoisin  « Merci  mon Dieu ,

merci mon Dieu de l’épargner ! » et mêlant ses larmes de joie à la pluie qui ruisselait  sur son visage, le petit homme s’en fut .
Pendant ce temps,  le jeune et  bel inspecteur Louis Trovatti, chargé de d’arrêter l’étrangleur , se perdait en conjectures et se désespérait de ne pouvoir jamais le retrouver.

 

 Vanda se souvenait d’avoir déjà   vu cet homme .Mais où ?  Enfin elle  se rappela avoir rencontré son agresseur chez Frédo.

De son côté,  Malvoisin s’inquiétait.  Certes, sa fausse victime allait le dénoncer, c’était évident. Il devait la rechercher pour la faire taire définitivement, à moins que lui ne disparaisse . Après  avoir repris son travail chez Mme Chauvin., le petit homme se posa la question : sa proie ne serait pas  parmi les  anciennes clientes ?  N’aurait –elle pas acheté , elle aussi, des escarpins couleur feuille mortes. Plus il y pensait plus, plus il en était certain . Indubitablement, elle allait le retrouver et le livrer à la police Il devait quitter le magasin  au plus vite et partir n’importe où. Il prétendit  souffrir d’une crise cardiaque, Mme Chauvin, très amicale, lui proposa d’aller se reposer dans sa propriété de St –Rémy les Chevreuse. Après avoir feint d’accepter, le petit homme préféra se retirer dans un hôtel de Chennevières , petit  village d’une banlieue quelconque, sous le nom de M. Poitevin. Là, pensait-il,   on ne le retrouverait jamais.
De son côté, l’inspecteur Trovatti crut avoir une idée lumineuse. Après avoir envoyé deux policiers suivre Vanda dans tous ses déplacements afin de cueillir Malvoisin s’il l’attaquait ,  il fit passer , dans les journaux, la photo de la jeune fille accompagné d’un d’un présumé fiancé, qui allait l’emmener  en Amérique pour l’épouser. Ainsi rassuré , le petit homme n’aurait plus à craindre d’être dénoncé . Le fiancé  en question était , naturellement,  un jeune policier que la ‘’blague’’ amusait beaucoup.

Ravi d’être rassuré, Malvoisin   s’empressa de reprendre sa vie d’antan. Retrouver son appartement, son travail de caissier, quoi de plus tentant ? Il redeviendrait ainsi un homme comme les autres Mais catastrophe ! Ne voilà – il pas que , dans la rue,  il aperçut, parmi les voitures,  se dirigeant vers les Champs Elysées, celle de Melle Vanda. Elle avait donc menti, elle avait cherché à le bluffer.  Affolé, il décida de repartir au plus vite à St Remy les Chevreuse. En réalité , Vanda, à laquelle Trovatti avait donné rendez-vous au magasin de Mme Charvin, à neuf heures  afin de prendre sur le fait son présumé assassin, s’était réveillée une demi-heure trop tard . Au lieu d’héler  un taxi , elle pensa combler son retard en utilisant sa propre voiture . C’est ainsi que Malvoisin  découvrit la supercherie. Les fiançailles américaines  n’étaient  donc qu’une plaisanterie...

Pour réparer la bévue de Vanda, Trovatti pria Mme Chauvin de l’accompagner  dans sa maison de campagne où s’était réfugié, indubitablement,  son caissier - assassin.

Arrivé à sa destination, le petit homme  se rendit, tout d’abord, à la chapelle du village pour régler ses comptes avec Dieu. Il n’en pouvait plus de son destin de tueur.  Sa tête allait éclater. Il voulait en finir et se livrer , lui-même,  à la police. Et pourtant avant ce dernier geste salvateur, il lui fallait étrangler sa patronne. Non qu’elle fut jeune et belle, mais il devinait qu’elle avait tout compris. Seulement voilà quand il arriva dans la villa de Madame Charvin, elle était là ainsi que Vanda et l’inspecteur Trovatti.  Dieu n’avait été d’aucun secours pour son serviteur Malvoisin.

Le criminel arrêté,  la délicieuse Vanda et le beau policier  se découvrirent très amoureux l’un de l’autre et  au matin de leur mariage , ils remercièrent le petit homme de les avoir fait se rencontrer.

 

 

 

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27 septembre 2015

Jean-Luc Coby

Jean - Luc Coby

 

De connivence avec le ciel,  mes parents ne m ‘avaient pas accordé de frère, et j’aurais tant aimé en avoir  au moins un

 

J’appris bientôt que ce que l’on désire très fortement se réalise. Ma camarade de classe , Colette   connaissait un garçon de notre âge, Jean-Luc. Je le retrouvais, tout d’abord  à la messe du dimanche, puis habitant très proches  l’un de l’autre , comme par hasard,  nous nous rencontrions dans la rue, puis,  soi-disant , pour préparer nos devoirs respectifs de latin , il était plus pratique que j’aille  travailler chez lui . Ce fut assez facile, car ma mère connaissait son père qu’elle trouvait particulièrement   ‘’’courtois et bien élevé’’

 

Un jour  Jean-Luc vint me chercher à la sortie du lycée Camille Sée. La surveillante générale, Madame Horace , voyant ce garçon devant la porte, lui demanda  sévèrement ce qu’il faisait là. Sans se troubler le moins du monde , il lui répondit : « Je viens chercher ma sœur » C’était si simple… Ce fut  ainsi que, palliant la carence  du ciel et de mes parents,   Jean-Luc devint un frère et le restera jusqu’à sa mort.

 

Le père de Jean-Luc  était Haïtien. Jeune homme, il avait quitté son île en 1914 pour venir combattre en France. Puis, à l’Armistice,  ayant  rencontré une ravissante  rousse de dix-neuf ans,   il l’avait épousée et Jean-Luc était né.  Métis,  l’enfant ressemblait à la fois à son père par son teint basané, ses cheveux noirs tout  bouclés , ses yeux qui riboulaient, son rire  aux dents éclatantes et à sa mère par son nez fin et sa bouche délicatement ourlée.

 

En  1943, nous vivions une période très troublée. Paris était occupé depuis deux ans et demi par une troupe  allemande que menaçaient en ville certains résistants. Parfois,  un ressortissant de la Wehrmacht était poignardé par derrière à  sa sortie du métro…La sanction ne se faisait pas attendre. Un soldat tué, dix prisonniers juifs ou communistes, étaient massacrés, sans merci. Des affiches ,apposées sur murs de la capitale , en informait la population.  L’ambiance était de plus en plus  fiévreuse et l’ Allemand nous apparaissait de plus en plus haïssable . Quand on abordait le sujet,  Jean-Luc , l’exubérance même,  restait de marbre et ne prenait pas part à la conversation. Je m’inquiétais auprès de lui : «  Tu n’en n’as pas assez  de ces boches ? »  . Sa réponse fut inattendue: «  Si l’un des Allemands était né quelques kilomètres en avant du Rhin, il serait Français et peut-être notre meilleur ami… »  Quelle évidence ! quelle lucidité !  lui  qui n’avait que dix-sept ans et qui  dans la vie,  paraissait tout fou ! Je n’ai plus jamais oublié  sa phrase  . En effet,   qui pouvait décider de sa naissance ?  Qui pouvait se targuer d’avoir choisi sa position  dans la vie ?  Qui ? Qui ? Qui ?  Personne !  Jean-Luc, ce jour-là,  me laissa le plus beau cadeau qu’il pouvait m’offrir : la TOLERANCE. Qu’un homme  naisse avec la peau  blanche, la peau  noire , ou la peau jaune, il  est de la même race que moi, que tous les autres. J’avais  bien compris…

26 juillet 2015

Mony Dalmes - souvenirs et anecdotes

QUELQUES SOUVENIRS ET ANECDOTES

 

 

                                                                    MONY DALMES

 

 

Je suis née à quatorze ans, le trois octobre 1937, j’allais fêter mon anniversaire, le treize du même mois.

 

 Directrice d’école, ma mère avait eu pour élève la jeune Simone Ettennemare, qui  avait été la vedette de toutes les séances récréatives.  Son brevet élémentaire en poche, Simone n’avait donné aucune nouvelle , quand fin septembre 1937 , ma mère reçut d’elle une lettre lui annonçant son entrée  à la Comédie Française . Souhaitant de tout coeur que sa directrice d’école  assiste à ses débuts , elle joignait à son courrier un billet pour une loge de quatre places.
Je ne savais pas que ma vie  allait commencer ce soir-là.

Comme j’avais des cheveux  très raides , le 3 octobre au matin, ma mère m’envoya,  me faire faire des frisettes chez la coiffeuse. C ’était également l’occasion de mettre  ma jolie robe de tussor rose à pois blancs,  agrémentée de dentelle tuyautée ,  qui avait été faite, l’année précédente,  lors de  la Première communion de mon petit cousin, Maurice.

Ma mère,  de son côté ,  fit des frais de toilette : robe en soie noire et étole de renard ; mon père revêtit  son  costume du dimanche, bleu marine sur chemise blanche.

A dix-neuf heures, mes parents  et moi montâmes dans un taxi , direction la Comédie Française. Paris, la nuit, je ne connaissais pas. La place de la Concorde illuminée  fut pour moi le premier émerveillement de la soirée.

Arrivés à la Comédie Française nous eûmes le privilège d’ emprunter  le grand escalier d’honneur  qui menait à l’étage des loges.

 A vingt heures  trente, le spectacle commença. Il s’agissait d’une pièce  en trois actes de Molière : ‘Georges Dandin’‘. Mony n’y figurait pas. Il fallait attendre la seconde partie du spectacle pour  qu’elle apparaisse. Je pris néanmoins un grand intérêt à ce qui se passait en scène .Un riche paysan avait épousé une demoiselle d’une noblesse sans fortune. Il était une sorte de sauveur pour toute la famille. Néanmoins, sa femme , jeune et jolie,  le trompait gaillardement et les parents de celle-ci la  soutenaient contre leur gendre . Si parfois je riais de bon coeur, je découvrais le péché d’adultère … J’admirais pour la première fois Madeleine Renaud , l’épouse infidèle, Fernand Ledoux, le mari trompé ,  Jean Martinelli, l’élégant amant, M. Chambreuil et Mme Catherine Fonteney,  les parents  de mauvaise foi, ainsi que Denise Clair et Jean Meyer, les valets  perfides.

 

La pièce terminée, les acteurs  furent vigoureusement  applaudis par le public , puis vint l’entracte qui me parut interminable. J’attendais impatiemment  de revoir Simone, pardon Mony.

 

Enfin, une sonnerie  se fit entendre , tous les spectateurs reprirent leurs places et le rideau se releva sur l’oeuvre d’un auteur dont je n’avais jamais entendu parler : Alfred de Musset. Il s’agissait d’une comédie en huit tableaux : ‘’ Il ne faut jurer de rien’’ .Tout au début  de la pièce qui se passait dans le salon d’un château du XIX ème siècle, , un oncle semonçait son neveu qui dépensait trop d’argent et refusait de se marier de peur d’être trompé par sa femme,  comme bien d’autres époux ;   il ne voulait  même pas  faire la connaissance de la charmante et sage Cécile, fille de la baronne de Mantes.  C’était   Mony qui incarnait la délicieuse  Cécile.  Comme elle avait changé. Comme elle était devenue belle… Adolescente,  elle était quelque peu boulotte. Pour éviter qu’elle n’ait le ‘’coeur dans la graisse ’’le docteur lui avait interdit le pain , remplacé par des êressins. En outre,  je me souvenais d’un jour ,où elle était arrivée à l’école,   le visage  tout jaune Ma mère s’était inquiétée : «  Vous êtes malade ? Vous avez la jaunisse ! »Peu fière, la tête basse l’adolescente  lui répondit  à voix basse : «  Non Madame, je me suis mis de la poudre ocre… »  Oh, là, là !  «  Allez vous laver , tout de suite, sinon vous ne rentrerez pas en classe » J’avais alors honte pour Simone. Et voici que maintenant je la voyait si  belle, à la silhouette si mince, au teint rose dans une superbe robe de tulle blanc qui lui tombait jusqu’aux   pieds et  sur la tête un  joli voile qui couvrait ses magnifiques cheveux blonds , elle que j’avais connue châtain. Je  la regardais et l’écoutais … Comme  sa voix était harmonieuse et ses gestes délicats . J’étais sous le charme et je n’étais pas la seule. Sur scène,  le jeune Valentin  en tomba follement amoureux et  la demanda en mariage .

 

La pièce terminée,  la nouvelle pensionnaire de la Comédie Française vint seule saluer le public, un tonnerre d’applaudissement  s’éleva de la salle , Au bout de quelques instants les autres comédiens la rejoignirent  et la claque reprit de plus belle.

 Une fois dehors, , nous vîmes quelques spectateurs se diriger vers la sortie des acteurs afin de les féliciter. J’implorais ma mère d’aller saluer Mony. Et ce fut ainsi que nous sommes aller l’attendre  devant une porte portant l’inscription ‘’Administration’’  alors  que dans tous les autres théâtres il s’agissait de l‘’Entrée des Artistes’’ Mais qu’avais-je à faire de cette anomalie ? Moi, je n’attendais que Mony. La première artiste qui apparut fut Madeleine Renaud .Quelques heures auparavant, j’avais vu , sur scène, une très jeune épousée, habillée d’une longue robe de soie blanche, à la coiffure légère et voici une dame élégante  , revêtue d’une étole de fourrure et dont les cheveux  nattés formaient deux macarons autour de ses oreilles. La plupart des personnes présentes accoururent vers elle pour la féliciter , elle était tout sourire. Mais moi, je n’attendais que Mony ! Bientôt apparurent  Mrs Ledoux et Chambreuil. Mais moi , je n’attendais que Mony ! Enfin , elle arriva .Merveilleuse métamorphose ! Qu’elle était belle Mony, délicate  et blonde comme je ne l’avais jamais vue . Apercevant ma mère,  elle se précipita vers elle pour l’embrasser : « Oh, madame Sarrouilhe… Comme je suis heureuse de vous voir ...» puis m’apercevant ,  elle me prit dans ses bras  , et me dit, tout sourire « Comme tu as grandi… Le spectacle t’a plu  ? » Je ne trouvais pas de mots pour répondre, mais elle lut,  dans mes yeux,  tout mon bonheur alors  elle ajouta « Si tu veux venir voir d’autres pièces, écris moi, je te trouverai toujours une place » .   Un couple d’un certain âge s’approcha d’elle, c’ était sa maman et son parrain . Bientôt un  monsieur  de grande taille sortit du théâtre, il s’agissait du comédien Pierre Dux , metteur en scène d’’ Il ne faut jurer de rien’’ .Mony le prit par le bras et  lui présenta ma mère : «  Pierre, voici ma directrice d’école dont je t’ai beaucoup parlé »  Le monsieur s’inclina.

 Bientôt on se sépara en  se souhaitant  un«  Au revoir , à bientôt ! »

 

Sans demander l’avis de mon père, ma mère hala un taxi pour nous ramener. Je suivais mes parents sans savoir où j’en étais.
Nous habitions l’école dont ma mère était directrice. Ma chambre était une ancienne classe, de très grandes dimensions. Après avoir dit Bonsoir à mes parents, je me suis couchée. Ma mère avait pour habitude de passer dans ma chambre pour voir si tout allait bien et  appuyant sur le bouton électrique, elle me plongeait dans l’obscurité, pour éviter que je lise  (ceci  dit, j’avais une lampe de poche sous mes draps ! ). En dépit de cette précaution prise par ma mère,   Toute la nuit, j’ai vu la lumière allumée dans ma chambre ! Je rêvais toute éveillée. .. Il pouvait  donc exister  pour moi une vie autre que la mienne , une vie qui ne ressemblerait en aucune façon à l’existence mesquine que j’avais connue jusqu’à ce jour. Une vie  d’enchantement où l’on n’était plus soi-même mais un personnage de rêve, un personnage imaginaire , un personnage  inaccessible,  qui  pouvait néanmoins  vous habiter.   Tout allait changer pour moi. …

Le lendemain matin, j’étais dégrisée, ce rêve n’était  que mensonge: j’allais, c’était sûr , retomber dans ce quotidien méprisable,  imposé par une famille dont tous les membres se détestaient plus ou moins.   Pas moyen d’y échapper !

Et puis et puis nouveau miracle. ! Alors que je me regardais dans la glace pour me peigner  que vis-je , ? une mèche sur mon front était frisée , j’étais encore un peu ondulée :c’était bien  la preuve irréfutable que la veille j’avais été chez le coiffeur en prévision d’une soirée  tout –à - fait exceptionnelle. ..Je n’avais pas rêvé : Le Théâtre existait, tel que je l’imaginais , que je le ressentais
Puisque Mony me l’avais proposé, j’allais lui écrire pour lui demander de retournerà la Comédie Française.  Mais je n’ai jamais osé . Rien que d’écrire ‘’Ma chère Mony, ‘’, cela me paraissait impossible . Quelle audace !  Alors je reposais mon porte plume. Plusieurs fois, me donnant du courage, je croyais pouvoir m’autoriser à correspondre avec  mon idole, mais rien à faire, je n’ai jamais pu lui écrire un mot. Désespérée,  j’ai fini par abandonner cette folle  décision pour retomber dans une sorte de marasme . Je n’avais plus qu’à oublier la Comédie Française  J’étais nulle et je méritais bien la vie minable que je menais.

Puis arriva un nouveau miracle …Vers le 2O décembre, ma mère reçut un courrier de Mony, nous invitant à retourner l’applaudir. Le programme  de la Comédie Française comportait deux pièces dans lesquelles elle avait un rôle.  La joie ! la joie ! et encore la joie !
La fête de Noël , passée dans ma famille, n’eut pour moi aucune importance. On me parlait , je n’entendais pas.  Je ne pensais qu’à ma soirée du 27 décembre.

Au programme, ce soir-là était inscrite en première partie, une pièce d’Alfred de Musset  ‘’A quoi rêvent les jeunes filles’’ et en seconde partie le ‘’ Légataire universel’’ d’un certain Regnard dont je n’avais jamais entendu parler.  N’ayant reçu que deux places d’orchestre, mon père ne nous accompagna pas. Ce fut donc avec ma mère seule que j’assistais au spectacle.

L’affiche signalait qu’une partition musicale  de Mr Claude Debussy accompagnait le spectacle. . En effet avant que le rideau  ne fut  levé, alors que la salle était éteinte,  en prélude à la comédie, une musique douce , aux accents  mélodieux , se fit entendre  . Le rêve débutait.

Dès le lever du rideau, on voyait, Ninon, (que jouait Mony )et sa sœur  jumelle Ninette  , toutes deux très troublées par la présence secrète d’un bel inconnu  . Dans la nuit , alors que Ninette traversait le jardin de la maison,  il l’ avait prise dans ses bras et l’avait embrassée  Sans avoir vu son visage,  la jeune personne  le présumait fort beau…

                                                 ‘’ Il avait sur l’épaule une chaine superbe

                                                 ‘’ Un manteau d’Espagnol , doublé de velours noir

                                                 ‘’ Et de grands éperons qui reluisaient dans l’herbe…’’

 

 D’autre part, tandis  que Ninon s’était  assoupie,  le bel inconnu lui chanta une sérénade sous la fenêtre de sa chambre :

                                                 

                                                   ‘’ Aujourd’hui le printemps, Ninon, demain l’hiver

                                                   ‘’ Quoi tu n’as pas d’étoile et tu vas sur la mer !

                                                   ‘’Au combat sans musique , au voyage sans livre !

                                                   ‘’ Quoi tu n’as pas d’amour et tu parles de vivre

                                                   ‘’ Moi, pour un peu d’amour je donnerais mes jours…’’

 

Comment aurais-je pu ne pas faire un transfert… N’étais-je pas à la fois Ninon et Ninette ?‘’ A quoi rêve les jeunes filles ?’’ A l’amour, bien sûr, je commençais tout juste  à m’en rendre compte.

 Après bien des hésitations ,  Silvio,  le bel inconnu  s’était enfin dévoilé . Il finit par choisir d’épouser Ninon, sans pour cela oublier Ninette qu’il considérera dorénavant  comme sa sœur.

La comédie était  écrite en vers. En fond musical,  les notes  de Claude Debussy  soulignaient  les  moments les plus sentimentaux.

Jamais je n’aurais pu imaginer assister à  un  spectacle aussi  poétique  .  Pour comble d’admiration,  se confirmait pour moi le talent d’ Alfred de Musset, poète que j’avais découvert lors de la représentation d’  ‘’ll ne faut jurer de rien’’.  Je me proposais de lire toutes ses œuvres…

 

Le rideau retombé sur ‘’A quoi rêvent les jeunes filles’’ , alors que les comédiens saluaient ,  le public  enchanté applaudissait à tout rompre  et je n’étais pas la dernière à taper dans mes mains. 

 

 Après l’entracte, débuta  la bouffonnerie   du ‘’ Légataire universel ‘’   Dès la première réplique de la soubrette Lisette  la scène , plongée jusqu’alors dans l’obscurité,   fut illuminée d’  une lumière éblouissante. On apprit bientôt qu’Eraste, neveu du vieux Géronte, gâteux, malade, tout décrépi et cacochyme ( je découvrais  ce mot),  espérait   devenir le Légataire universel  de son oncle. Or , pour se faire, il lui fallait surmonter bien des épreuves , tout d’abord dissuader la vieille ganache de songer à épouser la jeune et jolie Isabelle ( ma Mony) qu’Eraste aimait et dont il était aimé. puis il fallait éloigner deux autres parents, une nièce et un neveu, en les déshonorant aux yeux du vieillard et enfin  se faire passer pour Géronte auprès du notaire et signer à sa place le testament tant désiré . Grâce à  trois  déguisements , Crispin, serviteur d’Eraste , se chargea de ces missions périlleuses. Le rôle était joué par Pierre Dux.  Costumé  en valet d’époque   (  petit chapeau rond, long costume noir, large ceinture et courte épée au côté ) son  physique de voltigeur et  sa  grande taille,  lui permettaient de sauter par dessus les chaises et les tables, et de parcourir la scène en trois enjambées . Il était irrésistible.   Je riais , je riais , je riais aux éclats ? A côté de moi , ma mère m’enjoignait de me taire, prétendant que tout le monde me regardait. Qu’en avais-je à faire ? Pierre Dux était si drôle . Je ne me doutais pas, que quelques années plus tard je deviendrais son assistante et qu’ hors de la scène , il était un patron très sérieux…

 

La représentation du ‘’Legataire Universel’’ terminée, nous sommes aller féliciter Mony. Cette fois, elle ne me laissa pas hésiter une seconde et décida de m’inviter à tous les spectacles auxquels elle participerait. Ma mère , fort occupée par son école  et activités annexes,  me laissa dorénavant aller seule aux représentations de l’après-midi.  Elle prétendait qu’ainsi j’échapperais à cette période difficile de ‘’l’âge ingrat’’  Très bien , très bien…Cela m’ indifférait complètement ... pourvu que j’aille au théâtre..Ce fut ainsi que  je découvris les matinées poétiques, consacrées , dès le printemps 1948, aux poètes : Jean de la Fontaine, Victor Hugo, Alfred de Musset, ma nouvelle passion,  Paul Verlaine… etc…  Fascinante découverte…

 

 Après chaque manifestation, j’allais embrasser Mony dans sa loge où je fis connaissance  de la plupart des  artistes de la Comédie Française, y compris certains sociétaires Pour tous , j’étais leur jeune spectatrice privilégiée.

 

Qu’elle était devenue  belle ma vie…. Un monde inconnu , mystérieux. et merveilleux s’était ouvert devant moi…

 

                                                 

 

.                                                                      

                                                                     

 

                                                                                                                        

             

                                                  

 

 

26 septembre 2011

une jeunesse heureuse à Paris (suite)

J'ai adressé  avant-hier le mail dont copie ci-jointe au directeur des éditions Talandier:

"  J’ai déposé, 2 rue Rotrou, entre les mains d’une  jeune personne ( je suppose  que celle-ci fait partie de la maison),un manuscrit intitulé ‘’ Une Jeunesse heureuse à Paris  1940-1944’’,  le 14 mai dernier , nous sommes le 23 septembre. Pas de nouvelle... Même très mauvaise... Pas même un simple avis de réception...Je me pose la question: “quel est le cahier des charges d’un éditeur ?”

J'attends la réponse....

Hier soir j'ai regardé sur  la Ière Chaîne, l'émission relative à l'Occupation.  J'ai été très intéressée comme sans doute de nombreux spectateurs. J'ai vécu cette période et je peux en témoigner.  Les éditions Tallandier qui se présentent comme  spécialisée dans le domaine de l'histoire ne se sentent apparemment pas concernées...

26 juillet 2011

la société des auteurs et compositeurs dramatiques

La Société des Auteurs … ?  La Société des Auteurs, créée en 1777 par Beaumarchais , est chargée de défendre les droits des compositeurs dramatiques . Certes elle s’ occupe  parfaitement de cette tâche,  n’oubliant pas au passage de ponctionner son pourcentage. Il faut des fonds pour alimenter le fonctionnement de l’affaire. Il n’y a rien à dire là-dessus.

Mais la mémoire des auteurs ?  A ce sujet , la S.A.C.D. souffre d’une grave  crise de la maladie d’Elsheimer. Que signifient pour elle  les noms de Marcel Achard, André Roussin, Jacques Deval  et autres ….Ils semblent avoir disparus dans une brume lointaine, si lointaine.. . Ont-ils jamais existé ces gens-là ? Et pourtant  n ‘est-ce pas eux  qui ont fait la prospérité de la Société dans les années 1950, 60, 70. N’ont-ils , pendant des mois voire des années, rempli les salles de spectacle à 110 pour 100  ( en dépit de la sécurité des Théâtres,  on ajoutait des chaises, chaque soir) ?

Nous inspirant de l’ouvrage de G. Pillement concernant les auteurs du début du XXème siècle, Jean-Jacques Bricaire (auteur à succès, je le signale, qui donc participe  toujours à la trésorerie de la S.A.C.D.)  et moi-même nous avions projeté d’écrire un livre  de témoignage à l’ intention de  ces  illustres dramaturges.  La Sté des Auteurs,  interrogée à ce sujet , s’est montrée peu intéressée…. Doucement encourageante, peut-être… :« Faites vous éditer, puis on en achètera quelques exemplaires… » Voilà la réponse.

Plutôt que de perdre notre travail, j’ai préféré le  mettre sur Internet . On  peut en prendre connaissance sur le site de l’Association de la Régie Théâtrale. 

J.J. Bricaire aurait préféré l’édition. Mais à défaut… N’est-ce pas…Il s’incline.

24 juillet 2011

une jeunesse heureuse à Paris 1940-1944

Afin que les petits enfants et les arrière petits enfants des amis de mes 18 ans , décédés en 1999 et 2006, ne les considèrent comme de vieux ancêtres gâteux et cacochymes, j'ai écrit notre histoire. ( 365 pages). La France alors était vaincue, Paris occupé. C'était le temps de l'humiliation, des privations, des brimades, des délations, des arrestations, de la tyrannie antisémite, des tortures... Mais cet ouragan de misère et de mort ne fit qu'éclabousser la plus grande partie de la jeunesse parisienne. Il l'a conforté peut-être même dans le sentiment que l'espoir et le bonheur étaient à portée de main et qu'ils méritaient que l'on s'en saisisse au plus tôt. Le désir d'apprendre, de se découvrir, de découvrir les autres, de s'aimer se traduisait chaque jour dans de banales actions, histoires sans importance apparente, mais dont l'ensemble offrait à notre adolescence privilégiée une intensité de vie heureuse et des souvenirs gravés à jamais dans nos coeurs.

J'ai apporté mon manuscrit aux éditions Tallandier le 14 mai. Nous sommes le 25 juillet. Je n'ai encore reçu aucune nouvelle. J'accepterai toutes les critiques que l'on voudrait bien m'adresser, le refus d'éditer. Je ne me prends pas la tête, mais au moins qu'on ait la courtoisie de me m'accuser réception. Mrs les éditeurs en quoi consiste votre métier ?

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Le journal de Geneviève Latour
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