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Le journal de Geneviève Latour
19 avril 2017

Mademoiselle Dumont

Mademoiselle Dumont

En classe de Première, le programme de littérature était consacré au Romantisme.  Mon professeur de lettres, Melle Dumont  ,ne m’enthousiasmait pas.  De taille moyenne,  assez  forte  -  la  masse graisseuse l’emportait sur la masse musculaire -  elle était vêtue d’une robe de drap noir, serrée à la taille par une étroite ceinture  qui séparait en deux bourrelets le ventre et l’estomac, le visage pâle, un peu bouffi surmonté par un chignon bien serré , elle n’avait rien d’attirant et ne  me semblait pas du tout la personne adéquate pour enseigner la vie et l’œuvre des merveilleux et passionnés poètes romantiques . Que devait-elle connaître de l’Amour, et le connaîtrait-elle un jour ? Et quel homme pourrai lui trouver un brin de charme ?

En sorte de prélude ,nous avions étudié  quelques oeuvres de  Chateaubriand. Nous en étions à présent à Lamartine. ‘’Au temps,  suspends ton vol, et vous,  heures propices , suspendez votre cours…’’ Que  c’était beau ! Et  Melle Dumont nous  lisait cela comme elle aurait dit ‘’ deux et deux font quatre’’.  

Ah certes, je n’assistais pas à une matinée poétique de la Comédie française…

J’étais écœurée…Et je prévoyais le pire lorsqu’elle nous enseignerait  l’œuvre de Musset, mon poète préféré. 

Et puis surprise, début mars 1942, Melle Dumont  nous tint ce langage : « Mesdemoiselles, il ne suffit pas de travailler les auteurs de votre programme, il vous faut aussi découvrir les écrivains contemporains. Je ne saurais trop vous recommander de lire le tome  VI  des ‘’ Hommes de bonne volonté ‘’  intitulé ‘’Les Humbles ‘’ » et elle se mit à nous parler de Jules Romains, l’auteur  de cet important ouvrage en vingt trois volumes  et qui  devrait en compter  quelques autres .

Dès la sortie des cours,  je me précipitais chez le petit libraire qui tenait boutique en face du lycée. Arrivée chez moi,  je commençais à lire les premières pages des ‘’ Humbles’’. A dire  vrai, je n’étais pas passionnée. Il était question d’un petit garçon, Louis ,  et de sa mère qui allaient acheter des chaussures… Sans doute l’auteur avait –il raconté leur histoire dans les tomes précédents .Enfin pour le moment,  rien de bien intéressant. Je remis ma lecture à plus tard, c’est-à-dire lorsque je serais couchée . Ma mère avait soin d’éteindre la lumière. Grâce à une lampe électrique,   je lisais sous les draps.

 C’est ainsi que le mardi 4 mars 1942,  je découvris  un aspect de la vie dont je n’avais aucune idée. L’herboriste , Mme Camille,  ( je savais ce qu’était une herboristerie, on m’envoyait 

 dans celle  du quartier, acheter de la bourrache que je buvais en tisane, pour me soigner

le foie ) , venait de recevoir  dans sa boutique , une certaine  baronne , Marie de Champcenais , qui ‘’ avait des ennuis’’ . Quels ennuis ? Poursuivant ma lecture , j’osais comprendre ‘’qu’ayant du retard !’’ elle  craignait d’être enceinte, non de son mari, ce qui aurait été  naturel et convenable, mais de son amant M. Sammechaud. En voilà  une histoire !    Cela  devenait passionnant… Mme Camille donna à sa cliente  un mélange de plantes  qui devait , si elle n’était pas enceinte , annuler ‘’son retard’’. Cette fois j’osais  penser qu’il s agissait de la menstruation féminine, pour tout dire  des règles. …

A ce moment de ma lecture, les sirènes  , annonçant une alerte aérienne , se déclenchèrent et devinrent assourdissantes. Ma mère sauta de son  lit et vint me secouer : « Tu n’entends pas…Allez lève –toi, il faut descendre à la cave  .. » Mais, moi qu’est-ce que j’en avais à faire de la guerre, des bombardements et tutti quanti ? Ce que je lisais me paraissait bien plus essentiel. Enfin bon, je me suis levée, habillée ainsi que mon père qui bougonnait  en boutonnant la braguette de son pantalon et nous sommes descendus dans la cave de la maison d’à côté. Il y avait un monde fou… Plus de places  disponibles sur les bancs, nous dûmes nous asseoir sur les marches d’escalier . Certains  parlaient fort pour se faire entendre, d’autres pleuraient, d’autres se disputaient, opposant le Maréchal Pétain à Charles de Gaulle, enfin il y avait ceux qui chantaient pour s’encourager et les jeunes mères qui donnaient le sein à leurs bébés.  De temps en temps,  on entendait  exploser des bombes. Ma mère me  commanda de dire mon acte de contrition… Naturellement , j’avais emporté mon livre. Mais comment  lire dans ce brouhaha . Je ne m’y retrouvais plus. L’alerte dura environ  deux heures . Quand nous sommes retournés à l’école, j’étais morte de sommeil .

J’ai dû attendre le  lendemain pour en savoir  davantage sur les problèmes de  Mme  de Champcenais . La tisane n’ayant eu aucun résultat, la baronne dut retourner chez l’herboriste. L’action se corsait .  Devant l’échec de sa précédente médication , Mme Camille  n’hésita pas, elle fit monter sa cliente dans sa chambre . ( Là qu’arriva –t-il ? l’auteur ne le dit pas). En redescendant , elle tint simplement à rassurer Mme de Champcenais : « Je vous assure que ça s’est  passé  on ne peut mieux(…) Chez vous,  vous penserez bien aux petits soins que je vous ai indiqués.  » Je ne comprenais toujours rien.  Impatiente,  je poursuivais l’histoire.  Il se trouvait que le baron de Champcenais avait prévu une réception   dans son château  de  Courveillens, en  Champagne  . Il était impensable que son épouse ne l’accompagnât pas. M. Sammechaud, ami de la famille, faisait partie des invités.  Au milieu de la fête, alors que commençait le feu d’artifice, Marie sentit venir les douleurs. Elle monta dans sa chambre et fit, dans la plus grande discrétion,  venir son amant. Arrivé auprès d’elle, celui-ci écarta le drap,  aperçut une énorme tâche de liquide rouge, presque une flaque (…) Marie lui tendit un gros amas d’ouate imbibé de sang,,  replié  dans une serviette .  Il demanda ce qu’il devait en faire . « Va jeter cela. Dépêche toi et reviens  me dire que c’est fait’’ . Sammechaud se rendit dans les toilettes . En considérant le paquet et son calibre,   il crut prudent de le diviser en deux , et, les doigts  ensanglantés,  il jeta la première partie dans la cuvette, puis fit fonctionner la chasse d’eau dont le bruit lui causa un soulagement extraordinaire. Il jeta alors  le  deuxième morceau…

Encore une fois,  je n’osais comprendre… Je dus relire  le passage pour accepter de me rendre à l’évidence. Le futur bébé avait été noyé dans les W.C. …

Après cette lecture,  j’étais tout d’abord  stupéfaite et  choquée . puis bientôt je m’en pris à moi-même. Comment ce pouvait-il  qu’une fille de mon âge soit aussi ignorante des ‘’choses de la  maternité’’ ? Certes je m’avais jamais été  curieuse  dans ce domaine là,  au contraire  Il a fallu que j’attende l’âge de onze ans pour que ma mère , après m’avoir fait réciter ma prière  ‘’ : « Je vous salue Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie  entre toutes les femmes et le fruit de vos entrailles est béni »  me demande si je savais ce que  signifiait ces dernières paroles. En réalité je ne savais pas, pour moi les entrailles se rapportaient à la colique ! Devant mon ignorance,  ma mère m’a expliqué que lorsqu’un homme et une femme  étaient mariés , Dieu mettait une petite graine dans le ventre de l’épouse et neuf mois plus tard naissait un enfant. Ma sœur aînée ayant convolé en  justes noces quelques mois auparavant,  j’allais bientôt être tante . Tout cela était parfait, mais mon beau-frère,  André ,  à quoi servait-t-il dans l’affaire ? Ma mère me répondit qu’il ferait des heures supplémentaires pour nourrir son épouse et son enfant. Alors que notre conversation aurait dû s’arrêter là , j’éclatais en sanglots.  Ma mère  a cru tout d ‘abord que je pleurais sur les douleurs qu’elle avait  dû endurer alors que je poussait dans son ventre . Pas du tout , au milieu de mes larmes,  j’ai murmuré pitoyable et furieuse : «  Maintenant je ne suis plus pure …» Par les explications de ma mère,  j’étais entrée dans le monde des adultes et je m’ y refusais . Les adultes étaient   pour moi des êtres méchants, jaloux,  ne pensant qu’à se faire du mal les uns aux autres . Leurs histoires je ne voulais pas les connaître. Je voulais rester une enfant innocente.   Trois mois se sont passés, ma petite nièce est née et on ne m’a plus parlé de rien. Jusqu’au jour où, entrée  en 6ème,  à l’Ecole Normale Catholique, j’ai connu une camarade qui avait un frère de quatre ans plus âgé qu’elle . Il lui donnait des cours  d ‘éducation sexuels avec  travaux pratiques à l’appui. Très fière ,elle nous racontait leurs exploits , mais il n’avait jamais été question d’avortement, au cours de leurs ébats

Reprenant ma lecture des ‘’Humbles’’,  je ne fus pas au bout de mes  surprises. Vers la moitié du livre, il fut question d ‘un prêtre, l’abbé Jeanne  comme les autres ecclésiastiques ,il avait dû faire voeu de chasteté… . Il avait un ami , l’abbé  Roussieux , fort éloquent en chaire et très apprécié de ses paroissiens . Un  soir d’hiver , les deux prêtres  se rencontrèrent  boulevard Barbès et marchèrent un moment ensemble,  puis l’abbé Roussieux s’arrêta devant la porte d’une maison. Avant d’entrer, il dit à Jeanne : « Je vais chez des gens. J’ en aurais pour une seconde » L’abbé, Jeanne le suivit.  Les deux prêtes furent reçus par une dame d’une cinquantaine d’années. . S’adressant à l’abbé Jeanne , l’abbé Roussieux  lui dit alors : «  Attendez-moi là , j’en ai pour quelques minutes » et il disparut. L’abbé Jeanne pensait que son ami allait  réconforter  un malade en fin de vie.   Après quelques minutes, l’abbé Roussieux réapparut, vêtu en civil,   coiffé d’un chapeau mou. «  Vous voyez, dit –il en riant, ma tonsure ne se devine même pas . Vous vous demandez ce que je fais faire maintenant ? Je vais chez ma maîtresse...» Devant l’étonnement outré  qu’il lisait sur le visage de l’abbé Jeanne, le vicaire  Roussieux poursuivit : « Vous en  faites une tête…»et d’expliquer à son compagnon  qu’il n’était pas le seul ‘’à s’amuser’’ . Il cita d’autres cas : Tel collègue de Saint Bernard fréquentait des maisons closes. Tel prélat éminent recevait des femmes du monde dans son hôtel et les ravages  qu’il exerçait parmi elles étaient la fable de sa domesticité. Tel prédicateur célèbre avait de justesse évité un gros scandale où étaient mêlées des jeunes filles’’ :  « Moi , disait Roussieux, j’estime que j’y vais bien modérément. Et c’est  l’avis de mon confesseur ! ». Que l’abbé Jeanne pouvait-il répondre, sinon «  Vous faites ce que bon vous semble  .Votre confesseur est content ? Vous aussi ? Que demander  de plus ? »

Je relis plusieurs fois ce passage . Dorénavant , l’austérité sacerdotale  du chanoine Tronçon, curé de la paroisse Saint-Jean Baptiste de Grenelle,   pour lequel ma mère avait une profonde admiration,  me paraissait beaucoup moins crédible. J’étais troublée , bien sûr, mais rien à voir avec la révélation de la découverte d’un avortement. Je ne me sentais absolument pas concernée par cette affaire de curés
A partir de ce jour,  mon jugement concernant Melle Dumont évolua totalement . Certes,  elle était une vieille fille, mal attifée et d’un physique peu attrayant  mais elle connaissait la vie et je lui étais très reconnaissante de me  la faire découvrir…

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