Charles Pasqua
Charles Pasqua
Lorsqu’en novembre 1961 , je fus engagée par la Sté Ricard pour devenir la secrétaire du Patron, je dus faire un stage de quinze jours au siège social de la société , à Marseille. Dire que j’ai été reçue les bras ouverts par l’ensemble du personnel des bureaux serait excessif. Une Parisienne promue à ce poste fort honorifique, alors que de bonnes secrétaires de direction , Marseillaises de surcroît, enviaient le poste ? C’était inconcevable…
Seul , Mr Pasqua, alors directeur des Ventes pour la région du Midi , m’accueillit dans son bureau, avec beaucoup de bonhomie. Connaissant en partie mon passé dans les théâtres parisiens , il me serra main et me dit, avec un accent marseillais inégalable : « Madame Latour, la vente, c’est de la ‘’Caumédie’’.. » Il me fit asseoir et , se transformant en un sosie de Fernandel, il me joua différents sketchs, concernant tout d’abord le comportement des cafetiers: celui qui aimait le Ricard et en poussait la vente, celui qui le détestait et évitait d’en servir et celui qui, n’ayant aucune de préférence, offrait le pastis qu’on lui demandait. Selon le même procédé , M. Pasqua enchaîna sur l’attitude des clients : l’amateur de Ricard, l’ennemi du produit et l’indifférent . Il ne s’en tint pas là et m’interpréta pour finir le bon et le mauvais représentant.
Son numéro terminé ,il parut désolé : « Ah ! quel dommage que vous n’ayez pas été là , le mois dernier, vous auriez assisté à la réunion des agents de vente…enfin cela ne fait rien, je vais vous faire entendre la bande ». Ainsi, j’ai écouté son ancien discours sur magnétophone. Après quelques envolée lyriques, il terminait son allocution par cette phrase inoubliable :
« Jésus-Christ a promis, aux hommes, le Bonheur dans le ciel, Paul Ricard leur donne sur la terre ».
J’avoue que j’ai été assez bluffée…
Quelques mois plus tard , alors que j’étais en fonction, j’ai eu l ‘honneur d’être conviée à la nouvelle réunion officielle des représentants, agents généraux et directeurs commerciaux de la Société : plus d’une centaine de personnes… Tous des hommes !!! Chacun portait un blouson rouge avec un écusson ‘’Ricard’’ sur la poitrine. Après le discours, toujours aussi enflammé de Charles Pasqua, la main sur la couture du pantalon, le regard fixé droit devant eux, les assistants entamèrent à l’unisson l’hymne Ricard , composé sur la musique de ‘’L’Ave Maria’’:
‘’ Oh Toi ! sainte Marthe [1]
‘’ Reine du Paraclet,
‘’ Avant qu’on ne parte,
‘’ Sers un Ricard bien frais.
Refrain
‘’ Ave, ave, ave cinq volumes d’eau !
‘’ Ave, ave, ave cinq volumes d’eau !
‘’ Aux hypocondriaques
‘’ Il redonne la joie,
‘’ Il prévient les attaques
‘’ Et les crises de foie !
Refrain
‘’ Ave, ave, ave cinq volumes d’eau !
‘’ Ave, ave, ave cinq volumes d’eau. !
La cérémonie terminée, ‘’les vainqueurs de la soif’’ s’en allaient gaillardement rendre visite aux bistrots les plus proches. Dès l’entrée de ses troupes, le futur Ministre de l’Intérieur , s’adressant au patron, annonçait : « A la Mienne ! à la Tienne ! à la Sienne ! à la Nôtre ! à la Vôtre ! à la Leur ! » , ce qu’on pouvait traduire par « six Ricard pour chacun »
Apparemment cette manière de diriger était excellente, puisqu’en 1961, année de mon engagement, il avait été vendu II.000.000 de bouteilles , l’année suivante 16.000.000 et la courbe ne cessait de grimper.