Jean-Luc Coby
Jean - Luc Coby
De connivence avec le ciel, mes parents ne m ‘avaient pas accordé de frère, et j’aurais tant aimé en avoir au moins un
J’appris bientôt que ce que l’on désire très fortement se réalise. Ma camarade de classe , Colette connaissait un garçon de notre âge, Jean-Luc. Je le retrouvais, tout d’abord à la messe du dimanche, puis habitant très proches l’un de l’autre , comme par hasard, nous nous rencontrions dans la rue, puis, soi-disant , pour préparer nos devoirs respectifs de latin , il était plus pratique que j’aille travailler chez lui . Ce fut assez facile, car ma mère connaissait son père qu’elle trouvait particulièrement ‘’’courtois et bien élevé’’
Un jour Jean-Luc vint me chercher à la sortie du lycée Camille Sée. La surveillante générale, Madame Horace , voyant ce garçon devant la porte, lui demanda sévèrement ce qu’il faisait là. Sans se troubler le moins du monde , il lui répondit : « Je viens chercher ma sœur » C’était si simple… Ce fut ainsi que, palliant la carence du ciel et de mes parents, Jean-Luc devint un frère et le restera jusqu’à sa mort.
Le père de Jean-Luc était Haïtien. Jeune homme, il avait quitté son île en 1914 pour venir combattre en France. Puis, à l’Armistice, ayant rencontré une ravissante rousse de dix-neuf ans, il l’avait épousée et Jean-Luc était né. Métis, l’enfant ressemblait à la fois à son père par son teint basané, ses cheveux noirs tout bouclés , ses yeux qui riboulaient, son rire aux dents éclatantes et à sa mère par son nez fin et sa bouche délicatement ourlée.
En 1943, nous vivions une période très troublée. Paris était occupé depuis deux ans et demi par une troupe allemande que menaçaient en ville certains résistants. Parfois, un ressortissant de la Wehrmacht était poignardé par derrière à sa sortie du métro…La sanction ne se faisait pas attendre. Un soldat tué, dix prisonniers juifs ou communistes, étaient massacrés, sans merci. Des affiches ,apposées sur murs de la capitale , en informait la population. L’ambiance était de plus en plus fiévreuse et l’ Allemand nous apparaissait de plus en plus haïssable . Quand on abordait le sujet, Jean-Luc , l’exubérance même, restait de marbre et ne prenait pas part à la conversation. Je m’inquiétais auprès de lui : « Tu n’en n’as pas assez de ces boches ? » . Sa réponse fut inattendue: « Si l’un des Allemands était né quelques kilomètres en avant du Rhin, il serait Français et peut-être notre meilleur ami… » Quelle évidence ! quelle lucidité ! lui qui n’avait que dix-sept ans et qui dans la vie, paraissait tout fou ! Je n’ai plus jamais oublié sa phrase . En effet, qui pouvait décider de sa naissance ? Qui pouvait se targuer d’avoir choisi sa position dans la vie ? Qui ? Qui ? Qui ? Personne ! Jean-Luc, ce jour-là, me laissa le plus beau cadeau qu’il pouvait m’offrir : la TOLERANCE. Qu’un homme naisse avec la peau blanche, la peau noire , ou la peau jaune, il est de la même race que moi, que tous les autres. J’avais bien compris…